“On m’appelait madame”. Moi Gilles, 62 ans et un cancer du sein

Beaucoup l’ignorent; d’autres le vivent. En France, 1% des cancers du sein touchent les hommes. Avec stupeur, Gilles a découvert sa maladie il y a six ans. Il partage ici l’histoire de son combat. Et ses espoirs.

“Début 2015, je travaillais encore en tant que responsable d’atelier dans un garage agricole. Le jour où j’ai remarqué sur ma poitrine une grosse rougeur qui descendait jusque sous le bras, enflée et avec des tâches ocres, je me suis dit que je m’étais cogné. J’ai laissé traîner… Mais la douleur a fini par devenir insupportable et je me suis décidé à aller consulter.
Mon médecin généraliste m’a envoyé faire une radio. Il n’a pas fallu plus de 10 secondes au radiologue pour poser son diagnostic : cancer du sein. Je suis tombé des nues !

Moi ? Un homme? Avec un cancer du sein ? J’avais peur que les gens ne comprennent pas, que l’on me juge ou que l’on se moque de moi.

Les équipes médicales qui m’ont pris en charge ont été très réactives et j’ai aussitôt fait une première série de chimiothérapie. On m’avait prévenu que j’allais perdre mes cheveux ; c’est arrivé trois jours avant le second traitement. J’étais sous la douche et ils sont partis par petites touffes… Ma femme a fini par me laver la tête au-dessus du lavabo. En me réveillant le lendemain matin, je me suis trouvé bizarre. Mais, pour un homme, on va dire que ça passe…
Pas besoin de perruque !

IL N’Y A PAS DE MOT

D’une manière générale, souffrir d’un cancer du sein rend les choses encore plus difficiles à vivre pour un homme. Il est arrivé plusieurs fois, par exemple, qu’une secrétaire médicale m’appelle “Madame” en salle d’attente lorsque c’était mon tour.
Même chose sur la notice des médicaments que je prends : tout est rédigé comme si seules les femmes étaient concernées !
C’est dérangeant… Pourquoi n’existe-t-il pas un terme pour désigner le cancer du sein chez l’homme ? Un jour, j’ai carrément posé la question à mon oncologue ; il était d’accord avec moi, mais son infirmière considérait que “cancer du sein” valait indifféremment pour les deux sexes.
J’ai été opéré après ma sixième chimio. Le chirurgien a pu retirer la tumeur, ainsi que seize ganglions.

Parmi eux, l’un était toujours positif; il avait résisté à tous les protocoles ! Les 25 séances de radiothérapie qui ont suivi ont réussi à l’éliminer. Depuis, j’essaie de rester actif. Je bricole, je peins, je jardine… Comme l’apparence de mon torse a énormément changé – je n’ai plus que la peau et les os, on voit même mes côtes – j’évite d’enlever le haut… sauf à la maison ! Mon épouse et moi ne sommes pas très plage, mais je réussis malgré tout à aller me baigner. A la piscine, en revanche, j’évite les heures d’affluence pour ne pas avoir à affronter certains regards.

UN MAL TROP MÉCONNU

Du côté de mes copains, certains ne savent pas quoi dire ou n’osent pas en parler.
Et puis il y a ceux qui hésitent toujours à me téléphoner, par peur de “déranger”. Ma nature fait le reste : quand j’ai un problème, j’en parle toujours. Et je m’adapte, pour être d’attaque ! Quand j’ai annoncé à ma fille que j’étais malade, elle m’a dit : “Pourquoi toi ?”.
Je lui ai répondu : “Pourquoi toujours les autres ?”. Je sais aujourd’hui que ma femme a, depuis le début, eu raison d’appeler ça “cancer du sein” et pas autre chose. Car les hommes doivent savoir que cela peut leur arriver aussi. Comme les femmes, ils doivent se palper, surveiller leur poitrine.

JE M’ACCROCHE A MON RÊVE

Il y a trois ans, un scanner a révélé deux nouvelles lésions au niveau de mes poumons et sur la colonne vertébrale.
Je suis donc un nouveau traitement et insiste auprès des médecins pour qu’ils me disent clairement les choses. J’ai eu mon lot de douleur et ne souhaite qu’une chose : que mon état se stabilise.

En attendant, je vis au jour le jour, je marche et je profite de la nature… Mon rêve ? Pouvoir aller à la montagne l’hiver prochain pour la première fois de ma vie. Alors, je pourrai faire des raquettes et du ski de fond, dans le calme, entouré de beaux paysages. Avant, le soir, de m’endormir d’une bonne fatigue”.