“Être aidant, c’est passer sous un rouleau compresseur”

À l’âge de 62 ans, Evelyne apprend que son mari souffre d’une maladie rare : l’amylose, qui peut toucher un ou plusieurs organes (le cœur, les reins, le foie…). Elle raconte le parcours du combattant qu’elle mène depuis une douzaine d’années aux côtés de son époux, avec ses périodes de découragement, de solitude, mais aussi d’espoir.

“Amylose ? Lorsque le diagnostic a été posé, je n’avais jamais entendu ce mot-là de ma vie. J’étais encore active ; mon métier d’analyste-programmatrice en informatique me passionnait. Dès le début de la maladie de mon époux, j’ai été prise dans un tourbillon. L’accompagner à ses rendez-vous médicaux, passer des heures dans les salles d’attente ou les couloirs des hôpitaux, attendre l’avis des médecins… Tout cela est extrêmement stressant, d’autant qu’il n’existait à l’époque aucun traitement médicamenteux. Ensemble, nous avons renoncé aux projets de voyage que nous avions faits pour notre retraite ; moi, j’ai commencé à mettre de côté ma santé, mes envies, mes loisirs.

J’étais prise dans un rouleau compresseur, je n’avais plus le temps de réfléchir à rien, mais je n’avais pas le choix : je devais aller de l’avant. Plus je voyais l’état de mon mari se dégrader, moins j’avais envie de voir les gens et de leur raconter ma vie, car rien n’évoluait.

Chaque mois, pendant 8 mois, nous avions rendez-vous à l’hôpital pour faire le point avec l’équipe médicale… qui ne prenait jamais aucune décision tranchée. Je courais partout mais, en même temps, je me sentais totalement impuissante ! C’était tellement difficile à supporter qu’un jour j’ai tapé du poing sur la table en leur disant : “Maintenant, il faut choisir !” Quatre mois après, mon mari bénéficiait d’une double-greffe cœur et foie.

Durant sa convalescence en maison de repos, j’allais le voir tous les après-midi ; je faisais entre 1h et 1h30 de trajet à l’aller comme au retour. Certains soirs, c’était tout juste si j’avais la force de rentrer… J’étais épuisée ! Tout le monde m’appelait pour prendre de ses nouvelles et le téléphone n’arrêtait pas de sonner. Sur les conseils de ma fille, j’ai pris l’initiative d’envoyer un mail groupé régulièrement, pour ne pas avoir à répéter sans cesse les mêmes choses. Quand on est aidant, il faut aussi être en mesure d’encaisser certaines phrases, comme celle de ce médecin réanimateur qui, un jour, m’a lancé : “Vous savez, dans mon service, il n’y a qu’un patient sur deux qui en ressort vivant !”.

A la suite de cela, nous avons profité d’un peu de répit pour sortir, voir nos proches, aller au théâtre… sans jamais aller très loin car mon époux se fatigue vite. Au bout de cinq ans et demi, il a fallu mettre en place un nouveau protocole de traitement par perfusion toutes les trois semaines. Lorsqu’il a été opéré du dos en 2020, j’ai dû faire installer un lit médicalisé dans le salon et gérer le planning des infirmières qui venaient pour les soins quotidiens : c’est toute une organisation ! En revanche, je me suis toujours refusée à faire moi-même la toilette de mon mari. Par pudeur comme par respect pour lui ; lui-même tenait à m’épargner ça.

Depuis que nous nous sommes rapprochés de l’Association française contre l’amylose, nous multiplions les rencontres entre malades. J’ai même co-rédigé avec des psychologues un livret spécialement dédié au rôle d’aidant et me suis investie dans la dernière Journée mondiale contre l’amylose en octobre dernier. Cela m’a permis de réfléchir sur moi-même… et de prendre la mesure de tout ce que j’avais fait par amour pour mon époux. C’est ainsi que je me suis rendue compte que je devais me ménager du temps pour faire ce que j’aime : marcher dans la forêt, voir mes amies, lire, boire un thé tranquillement… Tout ce qui m’a tant manqué au début mais qui sont autant de choses indispensables pour ne pas craquer !”.